Covid-19 : trois pistes pour expliquer la contamination en milieu carcéral

©liinformateur.net – 11 mai 2020 – 08h22 (Lomé)

Sur la vingtaine de cas de coronavirus détectés dimanche 10 mai au Togo, au total 19 proviennent de pensionnaires de la prison civile (probablement celle de Lomé). Cette annonce a jeté un vent de panique dans l’opinion qui se demande surtout comment le virus a-t-il pu réussir à franchir les quatre murs de cette prison pour atteindre des détenus.

« Le virus ne voyage pas, ce sont les hommes qui voyagent avec le virus » disaient des affichent abondamment relayées sur les réseaux sociaux dès les débuts de la pandémie au Togo pour inciter les gens à rester chez eux. Du coup on s’imagine bien que quelle que soit sa rage, aucun virus ne voyage dans l’air sur une longue distance pour aller toucher des personnes. Dans le cas du covid-19, les scientifiques même les plus alarmistes ne lui donnent pas une portée au-delà de 2 mètres et cela dans des conditions très exceptionnelles surtout lorsqu’un porteur éternue. En conséquence, si le virus se retrouve quelque part c’est bien parce que quelqu’un a dû l’y amener.

Dans le cas d’un milieu carcéral et celui des prisons civiles du Togo, la surpopulation carcérale est un facteur d’extrême volatilité du mal. Le combat est de faire en sorte donc qu’aucun détenu ne soit en contact avec un cas contaminé sinon ce serait une contagion de masse qui risquerait de se produire. Dans le cas d’espèce, comment des personnes en détention ont pu en arriver à porter le virus ? Trois facteurs permettent d’expliquer la présence du coronavirus auprès de détenus.

Faille dans le dispositif…

Dès les débuts du mois d’avril, les autorités judiciaires avaient conscience du danger que serait d’avoir des cas en milieux carcéraux. Aussi les visites étaient-elles interdites dans les prisons civiles du Togo dès le 13 avril 2020. La justification donnée était justement d’éviter que les détenus ne soient en contact avec le monde extérieur et potentiellement contaminés. Mais ce que l’on redoutait est ce qui est arrivé et cela pourrait dénoter d’une faille dans le dispositif.

Les détenus contaminés ont peut-être avoir été en contact avec quelqu’un venu de l’extérieur. Dans ce cas cela supposerait que la consigne d’interdiction de visite n’est pas respectée à la lettre par les gardes pénitentiaires. Contre quelques espèces sonnantes et trébuchantes ils auraient laissé des visiteurs entrés en contact avec un ou des détenus. Il suffirait qu’un seul de ces visiteurs soit porteur pour que le mal trouve porte d’entrée dans le milieu.

Mais cette piste est peu probable dans la mesure où nombre de personnes qui ont des proches en détention et qui avaient tenté de leur rendre visite malgré l’interdiction, ont témoigné avoir été simplement refusé d’accès aux pensionnaires. Si le contact avec l’extérieur par le truchement d’un visiteur est impossible, cela ne veut pas dire que les détenus en sont totalement coupés. Les gardes pénitentiaires eux-mêmes peuvent avoir été des vecteurs.

Une contagion par des gardiens…

L’idée n’est pas complètement à exclure. le détenu n’a pas le droit de sortir et de revenir pendant la durée de sa détention mais le garde pénitentiaire n’est pas astreint à cette restriction de liberté de circuler. Il exerce son métier comme tout autre métier à des heures données. Ainsi, à la fin de son service il peut rentrer chez lui jusqu’à la prochaine prise de service. Une fois à l’extérieur, que fait-il ? avec qui est-il en contact ? veille-t-il forcément à appliquer les gestes barrières avec rigueur ?

Un garde pénitentiaire X a pu avoir contracté le virus quelque part lors d’une sortie et l’avoir ramené sur son lieu de service. Entre les gardiens et les détenus, ceux qui ont une fois visité une prison civile savent qu’il n’y a pas vraiment de distance surtout en journée où les détenus sont dehors et les gardes font des allés et venus entre eux.

Mais si cette hypothèse se vérifie cela suppose que ce ne sont pas simplement les détenus qui sont contaminés mais aussi d’autres gardiens et même l’administration de la prison en cause. Des tests de grande ampleur doivent être effectués incluant ceux-ci pour déterminer les porteurs et les mettre rapidement en quarantaine. D’ailleurs le simple fait qu’il y ait contact entre détenus et gardiens, même si ces derniers ne sont les vecteurs de transmission du virus, doit forcément impliquer que des gardiens sont peut-être contaminés au même titre que les détenus.

Une dernière piste de contagion et sans doute la plus plausible est à prendre en considération, il s’agit de celle de nouveaux pentionnaires.

Les nouveaux détenus comme porte d’entrée du virus…

La propagation du coronavirus n’a pas mis en berne le fonctionnement de l’État. Ainsi la justice continue de faire son travail et chaque jour ouvrable que le bon Dieu fait, des personnes sont déférées en prison pour tel ou tel autre motif. La prison a certainement dû accueillir des dizaines de nouveaux arrivants ces derniers jours, cela est d’autant vrai qu’on connait la célérité avec laquelle des gardés à vue sont déférés pour parfois des peccadilles.

Certainement que dans ce lot de « nouvel arrivage », se trouvent un ou des porteurs sains du coronavirus. Le porteur sain est celui qui a le virus dans son corps et qui n’en présente aucun symptôme. Ainsi, en l’absence de signes cliniques comme la toux, la fièvre… personne n’a rien soupçonné et le détenu a rejoint ses nouveaux quartiers à la prison pour ensuite passer la maladie à ses co-détenus qui eux autres ont rapidement développé des signes.

En tout état de cause, la situation est sans nulle doute plus grave qu’on ne le présente. La dangerosité du coronavirus est son extrême contagiosité. C’est pour cela que l’une des mesures barrières préconisées est la distanciation sociale d’au moins un mètre entre deux interlocuteurs ; toute chose impossible à respecter dans une prison où les détenus sont entassés comme des sardines surtout pendant la nuit aux heures de sommeil. Il est fort à parier que les 19 cas découverts ne sont qu’une infime partie visible d’un iceberg très profond. Seuls des tests grandeur nature incluant tous les détenus ainsi que les gardiens et l’administration de la maison d’arrêt peuvent permettre de se faire une idée claire du niveau de contagion.

Au demeurant ceci révèle des profondes failles dans la gestion de la pandémie au Togo d’autant qu’on signale l’évasion d’un des 19 détenus testés positifs et évacués vers le CHR Lomé Commune. Après l’échappée d’un malade en direction du Bénin il y a quelques semaines, voici celui d’un autre qui se retrouve dans la nature et donc source de contamination pour des dizaines de personnes. Et pourtant le CHR est surveillé par des gendarmes jour et nuit.

Samuel Gnanhoui

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