Voici les 5 bonnes raisons pour lesquelles F. Gnassingbé ne devrait pas être président du CSM

©liinformateur.net – 29 juin 2020 – 18h01 (Lomé)

Qui devrait diriger le Conseil Supérieur de la Magistrature ? C’est une question qui s’est invitée dans le débat depuis qu’un avis rendu par la Cour constitutionnelle le 18 mars 2020, fait du président de la République, le président du CSM. La Cour constitutionnelle a été saisie par le président de la Cour suprême pour se prononcer sur le sujet après la dernière réforme constitutionnelle qui a supprimé l’alinéa 2 de l’article 116 de la Constitution faisant d’office président du CSM, le président de la Cour suprême. La Constitution étant muette sur le sujet, il appartiendra à une loi organique de déterminer celui qui présidera ce conseil dont le rôle est de garantir l’indépendance de l’autorité judiciaire. Mais la perspective de faire du président de la République le président du CSM n’enchante guère le corps des magistrats encore moins les défenseurs des droits de l’homme.

Au niveau du Centre de Documentation et de Formation sur les Droits de l’Homme (CDFDH) et l’Union Syndicale des Magistrats du Togo (USYMAT), on est vent debout contre cette éventualité de voir le chef de l’exécutif dans le rôle de président du Conseil Supérieur de la Magistrature. Plusieurs raisons militent en faveur de cela dont au moins cinq qui paraissent les plus importantes aux yeux du CDFDH et de l’USYMAT. A noter qu’il ne s’agit pas d’une quelconque focalisation sur la personne du chef de l’Etat, mais de la défense de principes d’indépendance qui doivent caractériser le fonctionnement de la justice pour qu’elle inspire confiance aux populations. Voici les 5 raisons ci-bas énumérés…

CINQ (05) RAISONS POUR LESQUELLES LE CHEF DE L’ETAT TOGOLAIS NE DOIT PAS PRÉSIDER LE CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE

1. Une atteinte aux principes sacrosaints de séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la justice consacrés dans la Constitution togolaise de 1992

La Constitution togolaise protège l’indépendance du pouvoir judiciaire de toute intervention injustifiée ou ingérence des membres du pouvoir exécutif. L’article 113 de cette Constitution, en son alinéa premier dispose, à cet effet, que « le Pouvoir Judiciaire est indépendant du Pouvoir Législatif et du Pouvoir exécutif ». En consacrant une telle disposition, le constituant togolais, rappelle l’attachement du peuple togolais à l’Ideal de démocratie dont l’un des piliers est la séparation des  trois pouvoirs constitutionnels de l’Etat.

2. Non-conformité aux normes internationales 

Le Togo a ratifié de nombreux instruments juridiques internationaux et régionaux qui obligent les Etats parties à assurer l’indépendance de la justice notamment vis-à-vis de toute ingérence. A titre d’exemple, l’article 14 du Pacte international relatif aux civils et politiques (PIDCP) de 1966, l’article 10 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) de 1948, l’article 26 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP) de 1981, et le point 4, alinéa 3 de la Déclaration de Bamako du 03 novembre 2000 imposent aux Etats de garantir à leurs citoyens une justice indépendante ainsi qu’un procès public et équitable devant un tribunal indépendant et impartial.

D’autres textes se prononcent sur le CSM et son indépendance par rapport aux autres pouvoirs de l’Etat dont l’Exécutif. Il s’agit :

  • du Statut universel du juge, adopté par le Conseil central de l’Union internationale des magistrats le 17 novembre 1999. Il dispose en son article 2 alinéa 3 que : « le Conseil de justice[1] doit être totalement indépendant des autres pouvoirs de l’Etat…Pour éviter toute suspicion, ses membres ne peuvent être des politiciens…Aucun membre du gouvernement ou du parlement ne peuvent être en même temps membres du conseil de justice » ;
  • des principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature adoptés par le septième congrès de l’Organisation des Nations Unies (ONU) tenu du 26 août au 6 septembre 1985 à Milan en Italie et endossé par l’Assemblée Générale de l’ONU le 29 novembre 1985. Ce texte rappelle à tous les Etats membres des Nations Unies, dont le Togo, que le processus de sélection et d’évolution de la carrière des juges doit se faire indépendamment des pouvoirs exécutif et législatif ;
  • des Directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique de juillet 2003 et le Statut du juge en Afrique qui imposent à tous les Etats parties d’assurer l’indépendance des organes du pouvoir judiciaire notamment le CSM.

3. L’exigence du Comité des Droits de l’Homme (CDH) des Nations Unies d’exclure le président de la République et le ministre de la justice du Conseil supérieur de la magistrature 

Le Comité des Droits de l’Homme (CDH) de l’ONU en charge de l’applicabilité du PIDCP, dans ses observations finales (recommandations) adressées plusieurs Etats, a préconisé que les membres de l’exécutif ne fassent pas partie et n’aient aucune influence sur le CSM. A titre d’illustration on peut retrouver pareille recommandation dans les observations finales adressées à des pays comme le Bénin[1],  la Guinée[2], Guinée Equatoriale.[3]  L’un  des cas les plus récents et les plus vibrants est celui du Sénégal où dans ses observations finales adressées au pays, en décembre 2019, le Comité vivement recommandé que : « l’Etat partie devrait prendre des mesures urgentes pour protéger l’autonomie, l’indépendance et l’impartialité pleines et entières des juges, notamment au moyen d’une révision de la loi organique (…) pour que le président de la République et le ministre de la justice ne soient plus membres du Conseil supérieur de la magistrature et afin de garantir l’inamovibilité des magistrats ».

4. La tendance des pays francophones de l’Afrique à exclure l’Exécutif du CSM :

La position qui est sur le point d’être adoptée par le Togo mettrait le pays en marge d’une dynamique régionale visant à préserver l’indépendance de la justice. Ces dernières décennies, plusieurs pays francophones de l’Afrique ont opéré des réformes visant à exclure les membres de l’exécutif du CSM. C’est le cas de la Cote d’Ivoire, du Burkina Faso, du Rwanda, de la RDC, du Congo Brazzaville, etc.

En effet, d’une part, les Etats tels que la Côte d’Ivoire (Mme Chantal Nanaba Camara, présidente de la cour suprême, est la présidente actuelle du CSM ivoirien. Antérieurement, l’article 145 de la Constitution ivoirienne disposait que le CSM est un organe présidé par le président de la République), le Burkina Faso (le CSM est présidé par le premier président de la Cour de cassation, M. Mazobé Jean KONDE)[1], le Rwanda (articles 1 et 2 de la loi organique de 1996 portant organisation, fonctionnement et composition du CSM), la RDC (article 152 alinéa 1 de la Constitution) et le Congo (Loi organique du 18 octobre 1994), ont réformé leurs constitutions et lois organiques portant sur le CSM dont la finalité est de protéger le pouvoir judiciaire des interférences de l’exécutif en y excluant le président de la République et le ministre de la justice. Poursuivant le même objectif, la France, depuis les réformes de juillet 2008, a mis fin à cette pratique qui consiste à confier la présidence du CSM au président de la République et la vice-présidence au ministre de la justice.

D’autre part, de nos jours, tous les Etats pratiquement émettent le vœu de faire des réformes et de confier la présidence du CSM aux magistrats eux-mêmes et non aux membres de l’Exécutif. Il en est ainsi du Bénin, du Sénégal, du Mali, du Niger, de la Guinée, pour ne citer que ceux-là. Par ailleurs, l’actualité au Niger en est  une preuve.

5. Une aggravation de la corruption, de la manipulation des magistrats,  de l’impunité et de  l’affaiblissement de la justice

La présidence du CSM par le Chef de l’Etat risque d’accentuer non seulement les pressions politiques mais aussi elle risque (en raison du calendrier très chargé du chef de l’Etat qui n’aurait peut-être pas le temps nécessaire pour s’y consacrer pleinement),  d’ouvrir la voie aux multiples réseaux de manipulations politiques et autres, faisant ainsi du CSM et par ricochet de l’appareil leur objet qu’ils manipuleront comme bon leur semble,  mettant ainsi à néant tous les acquis du programme de modernisation de la justice entrepris depuis quinze années environ. Le CSM étant chargé de la nomination, des affectations, l’avancement  et de la discipline des magistrats  (des affectations et sanctions disciplinaires), des considérations politiques voire  d’intérêts personnels de certaines autorités ou personnes spécialisées dans la manipulation et l’instrumentalisation des institutions, qui  auront donc  la facilité soit de faire nommer uniquement leurs proches à des postes stratégiques pour pouvoir les manipuler à tout moment pour leurs propres intérêts, soit faire  ficeler (en complicité avec les membres du CSM qui seront désormais à leur bottes) des procédures disciplinaires visant à régler les comptes à ceux qui de par leur rigueur dérangeraient leurs intérêts)  pourraient intervenir lors de ces opérations et ainsi favoriser l’impunité au sein de la justice. Un CSM dont la présidence n’est pas assurée par l’Exécutif serait aussi un facteur de lutte contre les influences extérieures dans le fonctionnement de la justice. Cela est valable aussi pour lutter contre la corruption qui constitue un des défis majeurs pour l’indépendance de la justice perçue par les citoyens (34%), selon le rapport 2019 de Transparency International, comme est l’un des secteurs les plus corrompus. Les droits et libertés des citoyens feront ainsi l’objet de graves atteintes, l’état de droit et la démocratie s’éloigneront certainement.

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