Le CAR disparaîtra-t-il avec son fondateur ?

©liinformateur.net – 31 mai 2020 – 14h15 (Lomé)

Le président du Comité d’Action pour le Renouveau (CAR), l’un des plus vieux parti politique de l’opposition au Togo est décédé samedi 30 mai 2020 en France. Âgé de 76ans, Me Apollinaire Yaovi Madji Agboyibo fut un politique particulier. Avec son parti le CAR, il prônait une approche nouvelle de la lutte politique. Son parti survivra-t-il après son décès ? C’est la question que tout le monde se pose au Togo.

Me Agboyibo laisse derrière lui un parti plus fragilisé que jamais. Le CAR qui fit naguère la fierté de l’opposition au Togo a complètement pris l’eau et il est difficile de parier sur la survie de cette formation politique après la mort de son fondateur. Même s’il prônait une nouvelle méthode de lutte politique, le CAR est aussi à l’image de la plupart des partis politiques de l’opposition en Afrique, c’est-à-dire très dépendant de leur fondateur.

Le Comité d’Action pour le Renouveau était la chasse gardée de son leader. C’est lui qui a créé son parti et dans les moindres détails il contrôlait ce qui s’y passait. Au CAR, les idées c’était Agboyibo, le financement c’était encore Agboyibo. Il a été même dit un temps que les réunions stratégiques se déroulaient dans son salon à lui. Tout ce qui se faisait en grand ou en petit devait être connu et approuvé de lui. Et pourtant ce ne sont pas les têtes pensantes qui manquaient au parti. Mais la politique en Afrique et particulièrement au Togo c’était aussi ça. Faire allégeance au père-fondateur pour être bien vu de lui. Tous ceux qui osaient ramer à contre-courant subissaient le couperet.

Me Paul Dodji Apevon, un ancien du CAR en sait quelque chose. Lui qui était devenu le président du parti, faisant voir une certaine volonté de changement dans l’opposition, a été très vite ramené à la raison. On n’a même pas attendu la fin de son second mandat à la tête du vieux parti pour mener la fronde contre lui. En habile stratège politique, Me Agboyibo a lancé contre lui une certaine jeunesse qui s’est donnée à cœur joie à l’exercice. La fronde fut rondement menée et c’est le camp Agboyibo qui l’emporta. Ce dernier fut rétabli dans « son » fauteuil. Apevon l’aura appris à ses dépens. Le parti est la propriété d’Agboyibo et de lui seul. Me Apevon dû partir créer sa propre formation politique, emenant avec lui quelques cadres de son ancien parti politique. Le CAR qui fut le premier à montrer l’exemple d’une alternance à la tête d’un parti politique a vite fait volte-face. « Chassez le naturel et il revient au galop » disait un philosophe.

Le CAR a évolué ainsi jusqu’à ces derniers mois où on a commencé par sentir un nouveau vent de division souffler en son sein. Ces jeunes qui s’étaient alliés pour évincer Me Apevon en sont aussi venus à se tirer les uns sur les autres. Le vieux lui n’avait plus trop d’énergie pour contrôler ces pugilats. Il laisse un peu le désordre s’installer. Les nouvelles cibles des attaques sont Jean Kissi, le fidèle secrétaire général qui commence par montrer quelques signes d’agacement, et Kodzo Awudi, l’ancien président de la jeunesse du parti envoyé à la CENI. À la réunion de février 2020 où Me Agboyibo a fait sa dernière apparition publique, la décision a été prise de rappeler Awudi de la CENI. Officiellement c’est parce que le parti ne participait pas à la présidentielle. Officieusement, on règle des comptes à Awudi et indirectement à Kissi (celui-ci n’était même pas à la table d’honneur et se montrait quelque peu ailleurs lors de cette réunion). Awudi fait la résistance et refuse de quitter la CENI. Au-delà du cinéma politique que montre le parti dit de la méthode, la situation révèle le malaise au sein de la formation politique. L’amour de façade a trop longtemps durée. Les crocs sortent et personne ne fait économie de méthode peu orthodoxes pour en découdre avec l’autre. Dans la foulée, Jean Kissi publié une réflexion. Les mots choisis cachent à peine la morale que l’homme souhaite faire à son parti. Au CAR, on sent la manœuvre et Kissi est davantage éloigné de la direction. S’il reste secrétaire général du CAR, ce n’est plus lui qui signe les communiqués, désormais c’est le vice-président.

Si Jean Kissi espérait remplacer Agboyibo, c’est raté. Il n’est pas certain que l’homme du Yoto (la préfecture d’origine de Me Agboyibo) ait donné de consignes pour sa succession. Aujourd’hui disparu, la question de sa succession se posera sans doute. Mais qui pourra lui succéder ? Épineuse question à laquelle peu de personnes pourront répondre. La situation est telle qu’on imagine difficilement le CAR survivre au bélier noir. C’était sa chose. Son nom était même le logo du parti. On pourrait craindre qu’en passant de vie à trépas en France, Agboyibo ne soit parti avec son parti. Le CAR a quitté le parlement depuis 2018 et y retourner paraît désormais difficile. Le réservoir de voix du parti est majoritairement le Yoto. Agboyibo y était le maître absolu. Sans lui, que restera-t-il du parti et de son électorat ?

Samuel Gnanhoui

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