Togo – Procès Adjakly – L’Alternative : il faut éviter les émotions
©liinformateur net – 20 août 2020, 12h42 (Lomé) – Depuis quelques semaines, toute l’opinion publique est accaparée par le procès qui oppose le sieur Adjakly junior au journal L’Alternative. Ce journal a révélé dans ses colonnes une affaire présentée comme une vaste opération de détournement de deniers publics dans la commande des produits pétroliers par la famille Adjakly. Se sentant « diffamé », Fabrice Adjakly a porté plainte contre le journal en question. Il n’en fallait pas plus pour provoquer une vague d’indignation dans une opinion publique qui semble avoir déjà rendu son verdict de culpabilité contre le plaignant. Mais pour la sérénité de la procédure judiciaire, il est indispensable de se départir des états d’âme.
Fabrice Adjakly est-il coupable de détournement de plus de 400 milliards de francs CFA ? Il appartiendra à l’audit commandité par le gouvernement de le déterminer et si tel est le cas, la justice devra ouvrir une information judiciaire et punir les coupables qui qu’ils soient. Mais le procès en question, déjà renvoyé deux fois, ne porte malheureusement pas sur ce volet de l’affaire. Ici, c’est bien celui qui est mis en cause par un journal, qui a ester en justice pour diffamation. Nul ne saurait lui denier ce droit.
Dans l’État de droit que le Togo se veut être, toute personne a la liberté d’exercer son droit de justiciable. Ce n’est pas pour rien que même un criminel pris en flagrant délit passe toujours en jugement et est assisté d’un avocat. Que Fabrice Adjakly, se sentant diffamé par un article d’un journal, porte plainte pour que la justice constate le fait et le rétablisse dans ses droits, n’a rien de criminel. Il ne fait qu’exercer son droit légitime, ce que tout bon démocrate ne devrait qu’applaudir.
Des associations de défense des droits de l’homme, en réaction à la procédure judiciaire, condamnent « le harcèlement » judiciaire contre le journal L’Alternative. Curieuse réaction de la part de ces associations qui se battent pourtant pour que chaque citoyen ait le droit à la justice, et surtout une justice équitable. Il faut, au contraire, encourager les citoyens à recourir à la justice lorsqu’ils se sentent brimer pour telle ou telle autre affaire, plutôt que de recourir à des méthodes extrajudiciaires pour régler les comptes.
Fabrice Adjakly est-il un justiciable au même titre que tout autre togolais ? Oui. A-t-il le droit d’exercer son « droit » en justice ? Oui. Alors il n’a pas encore commis un crime imprescriptible en attaquant le journal en justice. Quand on est journaliste et de surcroît avec la casquette d’investigateur, ce genre de procès pour diffamation ou atteinte à l’honneur est un passage obligé. Les pôles juridiques des grands tabloïd croulent sous des procès en occident. Tout au plus, pourrait-on souhaiter que l’affaire ait pu être portée devant la HAAC. Mais encore, il appartient à « l’accusé » de décider de comment il entend exercer son droit.
Que l’opinion, condamne d’ores-et-déjà une personne qui ne fait qu’exercer un droit à lui reconnu par la justice, n’est pas de bonne augure pour un État démocratique. On a tout loisir de penser que la justice n’est pas équitable, qu’elle ne saurait dire le droit, qu’elle est à la botte d’un système… cela n’enlève en rien le droit à toute personne de recourir à elle dans différentes affaires.
Ici, il est indispensable de le rappeler, ce n’est pas l’Etat togolais qui a porté plainte contre le journal ; au contraire, l’Etat lui-même a lancé un audit après les révélations du journal pour y voir plus clair dans cette affaire. Fabrice Adjakly et l’Etat togolais sont deux entités bien distinctes et la procédure engagée par l’un ne devrait pas systématiquement être portée au déficit de l’autre.
L’opinion devrait plutôt se réjouir que cette affaire prenne une issue judiciaire car elle donne une tribune au journal de révéler à la face du monde toutes les preuves d’un « supposé » détournement dans la procédure de commande des produits pétroliers. C’est bien ce que tous les togolais attendent d’arrache-pied. Si la preuve est faite de façon irréfutable, il n’existe pas au monde, ce juge qui n’innocenterait pas le journaliste. Mais avant cela, les condamnations de l’opinion publique, les appels à cesser les harcèlements et autres, ne constituent rien de tangible comme preuve. Qu’on laisse la justice faire son travail et chacun avisera.